ANALOGIE NUMÉRIQUE



Les écrans de nos ordinateurs sont trop encombrés, il faut déménager le bureau, il faut virer les dossiers et les fichiers. Dans les jeux vidéo, le pouvoir focalisateur de la scène nous empêche de mesurer toute la puissance du hors champ. Il s'agit ici d'en éprouver la dimension avec le minimum de moyens.

Les lignes obliques du dessin ci-dessus ont pour origine des points répartis à intervalles réguliers sur toute la longueur. Apparemment parallèles, toutes ces lignes se rejoignent néanmoins en un point unique situé en-dehors de l'écran, dont les coordonnées ont 10 000 fois la longueur du dessin en abscisse et autant en ordonnée. En deça de ces dimensions, certaines lignes se brisent en "marches d'escalier" et révèlent la disposition en faisceau de l'ensemble.

En même temps qu'il pose un problème abstrait, ce dessin évoque une situation naturelle, il reproduit notre condition de terrien : la distance du soleil à notre planète est telle que nous considérons les rayons lumineux projetés sur le sol comme étant parallèles entre eux faute de pouvoir mesurer avec précision leur orientation. Nous refaisons ici l'expérience d'une même incapacité d'évaluation que nous résolvons en une même approximation satisfaisante.

L'écran affiche le résultat d'un compromis engagé entre les limites de nos sens, la dimension des phénomènes et les principes de la géométrie. En convenant que les quelques droites que nous avons sous les yeux sont parallèles, nous affirmons l'arbitraire d'un signe: nous dirons dans le cas présent qu'elles sont l'indice d'un éloignement qui se manifeste dans le plan au lieu de créer une illusion de profondeur. Nous assistons à l'apparition d'un aval informé par la distance de sa source. Célébrons cet avènement, il nous libère des conditions de vision qui perdurent depuis des siècles et qui réduisent aussi bien les amateurs des perspectives de palais de la renaissance que les amateurs des dédales des jeux vidéos, à la dimension d'un point fixé devant sa fenêtre tentant de capter la fuite d'un autre point.

Quelques lignes étales, un calcul approximatif et le lointain s'approche.


Richard Monnier, 24 décembre 2005 ___________________________expo Kerguehennec 2002